Mercredi, la Suisse verra un de ses citoyens accéder à la marche la plus haute de l'exécutif: le Conseil fédéral. L'élection parmi les Sept sages est un évènement riche en traditions, mais aussi un peu compliqué et très codifié.
Y aura-t-il des candidats surprises? Comment se passent les votes? watson vous explique les différentes étapes du processus.
L'élection des membres du Conseil fédéral au Parlement est le fruit d'un long processus. Celui-ci commence dès l'annonce de démission du membre en question, se prolonge dans la décision de la formation du ticket par le parti concerné, des hearings auprès des autres partis, puis passe la dernière étape de la «Nuit des longs couteaux».
Cet évènement a lieu la veille de l'élection, dans la soirée. Il prend place dans le hall d'entrée de l'hôtel Bellevue Palace, non loin du Palais fédéral, et dure jusqu'à ce que les derniers conseillers nationaux et aux Etats, ainsi que les journalistes présents, aient quitté le lobby.
Le nom est utilisé depuis 1983. Cette année-là, le Parti socialiste désire faire entrer une femme au Conseil fédéral et décide d'un ticket unique: la Zurichoise Lilian Uchtenhagen. Mais le camp bourgeois, qui la considère trop à gauche et apprécie peu que le PS impose de facto une candidate, manœuvre en coulisses. Le jour J, c'est le Soleurois Otto Stich qui est élu par l'assemblée à sa place, au grand dam de la volonté des socialistes. Un coup qui sera nommé la «Nuit des longs couteaux».
Mais d'où vient ce nom? Sulfureux, il fait référence à une purge de grande envergure commise par les nazis en 1934. (Ambiance.) Si la référence est complètement hors sujet, l'aspect «conspiratoire» du nom rappelle qu'en politique, tous les coups sont permis et que les élus pourront toujours tenter de hisser au Conseil fédéral une personnalité non présente sur un ticket. L'exemple le plus connu a toutefois eu lieu avec Christoph Blocher, en 2007. Le boss de l'UDC avait alors été remplacé de force par Eveline Widmer-Schlumpf. La gauche et le PDC (aujourd'hui le Centre) avaient habilement conspiré contre lui jusqu'à de longues heures, tard dans la nuit, la veille.
Mais ces élections tumultueuses sont plutôt l'exception que la règle. Depuis 1848, seuls trois cas d'éviction d'un membre actif du Conseil fédéral ont eu lieu. D'habitude, on connaît le nom des candidats et leurs chances. Parfois, le résultat exact du vote du lendemain est quasiment connu d'avance.
Les conseillers nationaux et aux Etats dorment déjà peu pendant les sessions parlementaires. Mais pour certains, la nuit qui précède le vote est particulièrement courte: plusieurs groupes parlementaires convoquent leurs membres au Palais fédéral pour des séances (très) matinales afin de discuter des dernières stratégies.
Certains partis ne communiquent leur consigne de vote à leurs membres qu'à ce moment-là. Ils peuvent aussi les laisser libres. Ces réunions se déroulent à huis clos.
Pendant ce temps, les non-politiciens arrivent au Parlement. Les journalistes, mais aussi le public qui s'est inscrit pour avoir la chance d'assister à l'élection. On estime qu'environ 250 journalistes sont présents lors de cet évènement. La «salle des pas perdus», ce large couloir présent tout le long du Conseil national et qui est utilisé par les journalistes pour discuter avec les parlementaires, sera très animée (voire chaotique) ce mercredi. D'innombrables caméras, spots lumineux et autres tables de matériel radio et télévisuel seront disposés un peu partout.
Certains éléments sont strictement réglementés, afin d'éviter tout chaos. Les visiteurs inexpérimentés du Palais fédéral reçoivent même des consignes sur leur habillement. C'est comme dans en boîte: pantalons obligatoires et dress code. La norme, c'est de respecter «la dignité des conseils». On vous rassure, il y a des gens en basket.
La partie officielle commence à 8 heures, avec l'ouverture de la séance de l'Assemblée fédérale. Pour ceux qui ont dormi en cours d'instruction civique, rappelons que le Parlement suisse compte deux chambres, le Conseil national (chambre basse) et le Conseil des Etats (chambre haute).
Si les deux salles traitent leurs affaires séparément, l'élection du Conseil fédéral fait l'objet d'une séance commune dans la salle du Conseil national. Les 200 membres du Conseil national sont assis à leurs places habituelles. Les 46 conseillers aux Etats se placent sur des bancs en bordure de la salle.
La séance sera dirigée par le président du Conseil national, cette année, il s'agit du Bâlois Eric Nussbaumer (PS). Il ouvrira la séance à 8 heures en faisant sonner la fameuse cloche du président. Celle-ci débute par quelques paroles très formelles:
Fun fact: les parlementaires qui viennent au Parlement doivent «pointer» sur une liste, ce qui leur permet de toucher des indemnités journalières. Tarif par député: 735 francs!
Ensuite, le président du Conseil national indique l'ordre dans lequel dans les élections doivent avoir lieu. Les Sept sages sont réélus selon l'ordre d'ancienneté, suivis de la place laissée vacante par le conseiller fédéral démissionnaire — Alain Berset. Le voici:
Note: tous ces conseillers fédéraux ont été élus au mois de décembre de l'année citée.
Cette année, il y a aussi une particularité. Le chancelier de la Confédération, le centriste Walter Thurnherr, sera remplacé. Le grand patron de la Chancellerie fédérale, parfois surnommé le «huitième conseiller fédéral», est un poste lui aussi important. L'Argovien occupe ce poste depuis 2016.
S'ensuit une brève cérémonie d'adieu. Le secrétaire général de l'Assemblée fédérale, Philippe Schwab, lit les lettres officielles de démission, puis Alain Berset et Walter Turnherr prononceront un discours d'adieu.
Après cette partie très officielle, les politiciens sont d'habitude applaudis chaleureusement et on leur distribue de grands bouquets de fleurs. Puis, l'ensemble des personnes devant être réélues quittent la salle.
Viennent ensuite les nominations. Le président du Conseil national se doit de mentionner que plusieurs parlementaires ont déposé leur candidature et que celles-ci peuvent être consultées auprès du secrétaire du Parlement. Cette partie est bien évidemment formelle, les candidats étant connus depuis longtemps. Mais cela fait partie de la procédure et participe au folklore de la journée.
La parole est ensuite donnée aux présidents des groupes parlementaires qui souhaitent s'exprimer. Celui du PS devrait prendre la parole et indiquer formellement les recommandations du parti, soit les deux politiciens présents sur leurs tickets.
Ils peuvent également demander à ce que leurs groupes s'engagent à respecter la «concordance». Car chaque parlementaire est en théorie libre de voter pour qui il désire et un «vote sauvage», qui s'éloigne de la recommandation vers un autre politicien, n'est jamais à écarter. Cette année d'ailleurs, ce scénario n'est pas à exclure dans le cas d'Ignazio Cassis, conseiller fédéral sur un siège éjectable dont la place est ouvertement visée par les Verts — et peut-être même par le Centre? Le Tessinois devant être réélu en deuxième, on le saura bien assez vite.
Un premier tour de scrutin a lieu. Chaque membre du Parlement reçoit un bulletin de vote. Tous les parlementaires doivent se trouver à leur place attribuée pour pouvoir proprement voter. Cette règle, qui paraît anodine, permet de maintenir l'ordre dans la salle.
N'importe quel citoyen suisse peut figurer sur le bulletin. Cela permet notamment d'élire un politicien compétent, mais externe au Parlement. C'est d'ailleurs le cas du favori pour la succession d'Alain Berset, le Bâlois Beat Jans, qui est actif à l'exécutif du canton de Bâle-Ville, mais n'est pas — plus — parlementaire à Berne.
Après le deuxième tour, les personnes ayant obtenu moins de dix voix sont éliminées. Dès ce troisième tour d'ailleurs, celui qui a obtenu le moins de voix est écarté et l'ajout de nouveaux noms est exclu. Le but? Empêcher que les scrutins ne s'éternisent et éliminer assez rapidement les candidats minoritaires qui n'ont que peu de chances d'être élus. Les tours suivants ont lieu sous forme de duel et doivent permettre de décider de l'élection du conseiller fédéral. On note au passage que le tirage au sort pour décider in fine existait par le passé, mais a été aboli .
Et ces comptes, ça se passe comment? Les bulletins de vote sont collectés par les huissiers, puis apportés dans la salle du Conseil fédéral, où les scrutateurs vont s'atteler à tout compter. Il s'agit d'ailleurs de membres du Conseil national ou du Conseil des Etats.
Lors du comptage, il faut d'abord faire attention à la couleur: les bulletins de vote ont une couleur différente (inconnue à l'avance) à chaque tour de scrutin. Les députés et les sénateurs écrivent à la main pour qui ils veulent voter. Lors du dépouillement, la concentration est maximale: les scrutateurs du National s'occupent de 25 bulletins de vote, ceux des Etats de 23 d'entre eux. Une écriture lisible est obligatoire: en cas de doute, la majorité du «bureau de vote» du Parlement a le droit de trancher sur le nom écrit sur un bulletin.
Une fois le résultat établi, les chiffres sont reportés sur un… tableau Excel. Le responsable des scrutateurs note le résultat final sur un petit papier qu'il glisse au président du Conseil national. Et c'est par ce geste banal et très bureaucratique que les plus hauts responsables politiques du pays sont choisis.
Une fois que ce petit bout de papier passe entre les mains du président du Conseil national, le résultat de l'élection est définitif. Le résultat ne peut plus être modifié et il n'est pas possible de recompter les voix ou de contester une élection. Malheureusement, le président de la Chambre basse n'énonce pas directement et triomphalement le nom du gagnant. Administration et précision toute helvétique obligent, il lit le résultat point par point, en donnant les chiffres dans un ordre précis et en deux langues:
Ce n'est qu'à ce moment-là que, énonçant le nombre de votes des candidats, on sait si le premier nom a passé ou non la majorité absolue — et est élu conseiller ou conseillère fédérale! Si les candidats n'atteignent pas cette majorité, on commence un autre tour de scrutin, comme décrit ci-dessus. Et on recommence...
La personne élue se voit alors tendre le micro pour un bref discours de remerciement. Mais la phrase la plus importante se trouve généralement à la fin: «Je déclare accepter l'élection». Ce n'est qu'à ce moment-là que celle-ci est définitivement scellée.
Mais le moment le plus emblématique arrive juste après. Le nouvel élu devra prononcer solennellement un serment de fidélité envers la Constitution et les lois. Celle-ci assure qu'ils rempliront consciencieusement les devoirs de leur charge. Les conseillers fédéraux nouvellement élus jurent en levant trois doigts en l'air. Il s'agit du symbole mythique des Trois-Suisses, mais aussi le même symbole que la Trinité, devant Dieu. Pour les moins religieux ou traditionnels, il est possible de prêter serment en portant la main sur le cœur — Simonetta Sommaruga l'a fait ainsi en 2010. Le secrétaire général de l'Assemblée fédérale lit le texte:
Et la réponse:
Et voilà comment on devient conseiller fédéral.
S'ensuit une sorte de marathon festif: les nouveaux élus sont conduits auprès des autres membres du Conseil fédéral, où a lieu la première séance de photos. Dans le même temps, les apéritifs commencent à être servis dans tous les sens.
Environ 45 minutes plus tard, c'est la première apparition face aux médias, au cours de laquelle les journalistes sélectionnés disposent chacun d'exactement 150 secondes pour poser leurs questions. Top, chrono...
La matinée bien remplie ne s'arrête pas là: après la «tournée des médias», une photo est prise devant les «Trois Confédérés», dans le hall d'entrée du Palais fédéral. Puis les membres du gouvernement fraîchement élus partent tenir une conférence de presse plus longue, d'environ vingt minutes. Et après... c'est l'apéro!